Les différentes définitions du bilinguisme

Là où les premières études, peu encourageantes, parlaient de «bilinguisme», il fallait simplement comprendre : enfant issu d’une famille modeste ayant des lacunes en anglais. En effet, les enfants d’immigrés résidant aux États-Unis, considérés comme bilingues n’étaient ni moins doués ni moins bien «dotés» au niveau du quotient intellectuel que les autres au départ : ils ne parlaient simplement pas suffisamment bien anglais, pour obtenir aux tests des résultats comparables à ceux des enfants américaines de longue date.

Pour Renzo Titone : «Le bilinguisme consiste en la capacité d’un individu de s’exprimer dans une seconde langue en respectant les concepts et les structures propres à cette langue, plutôt qu’en paraphrasant sa langue maternelle.» Une personne bilingue passe d’un code linguistique à un autre sans se référer à une langue privilégiée. Le bilinguisme dont parle Titone, permet une pratique autonome de deux langues sans recourir à la traduction. Toutefois il faut distinguer deux types de bilinguisme : le bilinguisme familial et le bilinguisme institutionnel.

Dans le premier cas, soit l’enfant est migrant et continu malgré tout de pratiquer sa langue maternelle à la maison, soit il s’agit d’un enfant d’un couple mixte (c’est le bilinguisme simultané).

Dans le second cas, et c’est celui auquel nous allons nous intéresser, l’enfant étudie une seconde langue en milieu scolaire dès son plus jeune âge (c’est le bilinguisme étagé ou précoce).

Les differents niveaux de bilinguisme.

Ainsi lorsque la personne, en plus de sa première langue, possède une compétence comparable dans une autre langue, et est capable d’utiliser l’une ou l’autre en toutes circonstances avec une efficacité semblable, alors on peut parler de bilinguisme parfait, idéal ou encore équilibré.

Ce type de bilinguisme est évidemment assez peu fréquent, et, par ailleurs, instable : il peut fluctuer, voire disparaître, selon les lieux ou circonstances.

Le cas le plus répandu est donc celui du bilinguisme déséquilibré, où une langue domine l’autre. On dit aussi que l’individu vit une bilingualité étagée (Martinet).

Comment fonctionne alors le cerveau d’un enfant en situation d’apprentissage d’une seconde langue à l’école ? Comment les informations sont elles stockées dans le cerveau et filtrées par chaque langue ?

La recherche sur le cerveau bilingue en est à ses débuts, bien que l’on sache que l’enfant possède une aptitude innée à l’apprentissage des langues. L’important est de retenir ici que le bilingue n’est pas nécessairement un traducteur. De même lorsqu’un bilingue alterne les deux langues dans une conversation, d’une phrase à l’autre ou au sein d’une même phrase, on parle d’alternance des codes ; à ne pas confondre avec interférence.

En effet, si la première est souvent consciente, la seconde est en revanche un croisement involontaire des deux langues et peu à grande échelle dénoter l’acquisition incomplète de la seconde langue.

Enfin, il nous reste à définir ce qu’est un individu bilingue.

Qu’est-ce qu’être bilingue ?

«Je suis bilingue», «ce sont de parfaits bilingues». Il arrive parfois d’entendre de semblables caractérisations, malheureusement, les réalités qu’elles recouvrent sont moins simples. Aussi, une spécialiste connue du multilinguisme, T.Skutnabb-Kangas, propose la définition suivante : « Bilingue est celui qui a la possibilité de fonctionner dans deux (ou plusieurs) langues, au sein de communautés soit unilingues, conformément aux exigences socioculturelles de compétence communicative et cognitive individuelle requises par ces sociétés et par l’individu lui-même, au même niveau que les locuteurs natifs, ainsi que la possibilité de s’identifier positivement aux deux communautés ou à tout ou  partie de ces groupes linguistiques et de leurs cultures. (…) ».

Qu’est-ce qu’être vraiment bilingue ?

Donc être vraiment bilingue implique que l’on sache parler, comprendre, lire et écrire deux langues avec la même aisance. Un critère sûr de cette perfection des deux compétences est, dans le maniement de chacune des deux langues, l’égale rapidité d’emploi, en tant que locuteur, de certaines structures qui caractérisent toutes les langues.

On appelle double maîtrise idiomatique cette égale connaissance des unes et des autres dans deux langues. Elle est idéal mais ne prétend pas s’étendre à la totalité du domaine. Elle implique en revanche que chez cet individu les deux langues paraissent maternelles, au lieu que l’une d’entre elles paraisse apprise.

Le bilingue doit être conscient des différences entre les registres

Un bilingue doit, en principe, connaître les différents registres possibles au sein de chacune des deux langues qu’il pratique. Il sait discerner le style écrit du style parlé, le style oratoire du style de dialogue, etc. De plus, il possède assez les deux normes pour être à l’abri des phénomènes de contamination. Par ailleurs, un bilingue «véritable » est censé posséder doublement ce qu’on appelle une compétence communicative (Hymes 1975). Cela signifie qu’il connaît les principes d’utilisation de chacune des deux langues dans des situations concrètes de communication. Enfin, la bonne connaissance de deux langues ne signifie pas qu’il n’y ait pas une spécialisation fonctionnelle, en vertu de laquelle l’emploi de l’une des langues est préféré à celui de l’autre dans certains domaines d’expérience. Le bilinguisme, à cet égard, est comparable à l’ambidextrie. Le rapprochement qui est ici proposé entre bilinguisme et ambidextrie vise à faire apparaître que le maniement de deux langues est un processus aussi naturel que celui des mains.

Être bilingue n’est donc plus considéré comme un handicap, et le bilinguisme n’est plus non plus synonyme de retard scolaire.

Aussi, forte de sa «nouvelle bonne réputation», l’enseignement bilingue s’est développé partout dans le monde. Les pays qui ont fait ce choix méritent de retenir notre attention pour la qualité des enseignements qu'ils proposent, dans des lieux géographiques variés puisque sur des continents différents et avec des approches différentes. Enfin, nous évoquerons le cas particulier de la France où l’enseignement bilingue fait encore figure d’exception.

Enseignement bilingue dans le monde

Le Canada est incontestablement un haut lieu de l'enseignement bilingue. Le modèle qui depuis plus de 25 ans est en place dans toutes les provinces canadiennes - essentiellement au Québec - est connu sous le nom "d'immersion", et il a donné lieu, à ce jour, à plus d'un millier de publications scientifiques.

Le modèle canadien consiste donc à "immerger" l'écolier dans la langue II, le français pour les Canadiens anglophones, l'anglais pour les Canadiens francophones.

En Égypte, les écoles bilingues francophones privées ou semi-privées scolarisent les enfants de la maternelle à la fin du cycle secondaire dans les mêmes locaux.

A partir du CM1, il étudie l'anglais.

Dans le Val d’Aoste, petite région autonome de l’Italie, toutes les écoles, et dès la maternelle, sont en mutation, elles vont devenir toutes bilingues au fur et à mesure que progresse la politique scolaire mise en place par les responsables locaux de l'éducation.

Enfin, il existe également en France des écoles bilingues mais celles-ci sont rares ou très localisées. Il s’agit de certaines écoles de Montessori, de l’école Jeannine Manuel ou encore d’écoles de zones frontalières comme en Alsace ou au Pays Basque. Cependant, si la France  ne semble pas si avancée dans la marche vers le bilinguisme, c’est peut être parce qu’elle garde encore les stigmates d’expériences passées peu fructueuses. Toutefois, même si elles ne se tournent pas vers le bilinguisme des réformes existent en faveur de l’apprentissage précoce des langues.

Enseignement précoce des langues en France

Charmian O’Neil définit plusieurs périodes relatives à la mise en place de l’Enseignement Précoce des langues Vivantes en France.

1.  Entre 1945 et 1960 : ce sont les balbutiements.

Déjà en 1954 avait eu lieu la première expérience d’enseignement de l’anglais à l’école par un jumelage de la ville d’Arles et d’York en Pennsylvanie. Les expériences de 50 à 70 restèrent ponctuelles et mal contrôlées mais elles offrirent des bases de réflexion pour les développements à venir.

2. De 1961 à 1974 : on assiste à une expansion.

Les années 60 ont  vu se multiplier les initiatives au sein des écoles primaires et maternelles. Expériences de toutes sortes, souvent menées avec beaucoup d’enthousiasme et de conviction mais dans le plus grand désordre, sous l’impulsion des municipalités, d’associations, de parents d’élèves, de comités de jumelage…

3. De 1974 à 1987 : phase de stagnation.

Inspecteur général, Denis Girard se voit confier, en 1974, par le ministre de l’éducation de l’époque la mission de «dresser le bilan des expériences entreprises pour l’enseignement précoce des langues ». Son rapport, épais de 272 pages, insiste sur le caractère décevant de bon nombre d’expériences. Il dénonce notamment l’amalgame trop fréquent entre le bilinguisme naturel lié à un environnement et l’apprentissage précoce dans un cadre scolaire. «Il ne faut pas croire que parce qu’un enfant commence tôt il va devenir bilingue, explique Denis Girard. Ce n’est pas magique, comme le pensent souvent les parents. L’apprentissage précoce n’est valable que si un certain nombre  de conditions sont réunies, comme la compétence de l’enseignant, la qualité de la méthode, le suivi pédagogique, la fréquence des séances, les motivations…»

Le rapport Girard, associé à la conjoncture morose des années 70, met un terme au foisonnement de toutes ces expériences linguistiques précoces. En 1988 seulement renaît l’intérêt pour l’EPLV qui se concrétise par le lancement de l’expérimentation de l’enseignement des langues vivantes en  CM1 dès 1989. « Il faut introduire l’apprentissage des langues le plus en amont possible dans notre système éducatif », déclarait le 21 janvier Lionel Jospin, alors ministre de l’éducation nationale.

4. De 1989 à aujourd’hui : la vague des circulaires officielles.

Les différentes circulaires qui vont se succéder vont permettre de reconnaître l’intérêt de l’E.P.L.V. et de préciser ses orientations pédagogiques. Puis, la circulaire du 3 mai 1995 va officialiser les propositions émises l’année précédente par le ministre François Bayrou. Elles concernent l’opportunité de pratiquer une initiation aux langues étrangères dès le cours élémentaire (E.I.L.E). Le B.O N°8 du 21 octobre 1999 fait aussi écho d’une familiarisation des enfants dès la maternelle aux différentes sonorités des langues étrangères. Des mesures ont également été prises en faveur de l’enseignement des langues régionales à l’école. Ce sont les circulaires n°82-261 du 21 juin 1982, n°83-547 du 30 décembre 1983 et du 20 avril 1995. Ceci, afin de répondre à  la demande des familles d’une découverte de la culture régionale qui intègre les réalités linguistiques actuelles. Ainsi, toutes les mesures actuelles prises en France ne concernent  pas ou peu l’enseignement bilingue (mis à part cette dernière circulaire encore bien timide). La France est dans un mouvement de prise de conscience de l’importance des langues à l’école.

Cependant, quels peuvent être les atouts du bilinguisme, les plus, qui le distingue d’un simple enseignement d’initiation.

Pourquoi un enseignement bilingue plutôt qu’un enseignement d’initiation ?

1. Temps accordé à la langue étrangère à l’école

L’enseignement bilingue en France impose une répartition paritaire des horaires entre les deux langues. 12 heures hebdomadaires sont donc accordées à la langue étrangère dès la maternelle. A l’inverse, l’initiation aux langues étrangères dès le CE1 tient en un quart d’heure tous les jours et l’enseignement (de l’anglais le plus souvent) s’étale sur une heure toutes les semaines. Or, en France Genelot a observé de meilleurs résultats en compréhension à l’audition et à la lecture, en expression écrite et en connaissances culturelles lorsque la quantité globale de temps consacré à la langue étrangère était important (…).

Une place importante attribuée à la langue étrangère est donc non seulement un avantage au niveau de la linguistique,  mais aussi a des répercutions sur de nombreux autres domaines.

2. Forme spécifique de l’enseignement bilingue.

Dans l’enseignement bilingue, on apprend la seconde langue en apprenant « EN » cette langue. La langue non maternelle devient vite une langue de travail, de jeu, de vie. Apprendre l’espagnol n’est pas synonyme d’apprendre En espagnol…. C’est beaucoup plus que cela.

Lorsque la seconde langue n’est pas apprise pour elle-même, «à vide », mais qu’elle est support d’enseignement, moyen de communication, véhicule d’apprentissages…alors elle devient une deuxième langue…elle cesse d’être un objet extérieur, et la voie est ouverte au bilinguisme… En revanche, une simple sensibilisation ou même une initiation à la seconde langue ne peu atteindre ce degré au niveau de l’apprentissage (et ce, en dépit des projets ambitieux de l’Éducation Nationale concernant l’E.P.L.V). Toutefois, comme le précise la circulaire, l’initiation des langues étrangères même dès le CE1 ne permet pas d’atteindre les mêmes objectifs que l’enseignement bilingue. La langue étrangère demeure une simple discipline et non un véhicule de l’enseignement d’autres disciplines.

3. Une éducation bilingue pour devenir bilingue.

L’idée défendue entre autre par Jean Duverger est que l’enseignement bilingue est un moyen puissant pour devenir bilingue. En d’autres termes, le premier bénéfice attendu de l’enseignement bilingue est de produire des individus bilingues, ce qui est rarement atteint dans l’enseignement traditionnel des langues. De même, d’après Dominique Groux, grâce à un enseignement précoce des langues, les enfants exposés très tôt à la langue étrangère deviendront bilingues si l’enseignement de - et en - langue étrangère se fait à parité avec celui de la langue maternelle. Si, contrairement à un enseignement d’initiation aux langues étrangères une éducation bilingue peut mener au bilinguisme, quels sont donc les bénéfices pour l’enfant du bilinguisme ?

Bénéfices attendus du bilinguisme

1. Bénéfices linguistiques…ou comment mieux apprendre la seconde langue et sa langue maternelle.

Conscience métalinguistique

Les chercheurs Pinto et Charmeux ont pu observer que le bilinguisme avait un effet positif sur les capacités métalinguistique. On appelle conscience métalinguistique, l’acquisition par l’enfant de ce que l’on a actuellement tendance à appeler en anglais «la connaissance à propos de la langue ». On désigne ainsi le fait que l’enfant, manipulant deux langues, tant pour communiquer que pour s’exprimer et apprendre, prend conscience, d’abord intuitivement sans doute, puis de plus en plus explicitement, des règles de fonctionnement de ces deux langues, règles quelquefois différentes et quelquefois semblables. En utilisant deux langues, il se développe inévitablement des stratégies d’analyses comparatives, voire contrastives, et ces analyses sont finalement bénéfiques à une connaissance plus fine et plus approfondie des fonctionnements des deux langues en présence.

De meilleures performances.

De nombreuses expériences, notamment en Pays Basque français, ont été effectuées et ont pu démontrer grâce aux tests nationaux de CM2/6ème que les enfants scolarisés en deux langues obtenaient de meilleurs résultats en français et aux épreuves de mathématiques, qu’ils passent en français alors qu’ils l’ont  étudié en basque, que des enfants scolarisés seulement en français. Le bilinguisme scolaire peut donc consolider l’apprentissage de la langue maternelle.

Des bénéfices lexicaux, syntaxiques, phonologiques.

Ces bénéfices linguistiques sont bien entendu perceptibles tant au niveau lexical qu’au niveau syntaxique. Au plan du développement de l’appareil phonatoire, le bilinguisme surtout précoce, élargit considérablement les spectres actifs de l’ouïe et de la phonation. De même le bilinguisme précoce permet également d’éviter la mise en place de ces «fameux accents » étrangers, dont il est ensuite difficile de se défaire.

De meilleurs lecteurs

On comprend bien qu’un enfant bilingue étant exposé simultanément à deux systèmes de «signes » entrera plus facilement dans une lecture par le sens, plutôt que par le son. Il donne directement du sens aux signes écrits, autrement dit, il se rend compte qu’un même sens peut être construit par deux signes écrits différents, correspondant aux deux langues qu’il apprend.

Par ailleurs, on peut penser que l’apprenti lecteur bilingue va se fabriquer des repères supplémentaires, notamment en termes de comparaisons, de regroupement, de similitudes ou de différences ; sa conscience graphique s’en trouve largement améliorée.

De meilleurs traducteurs

Les enfants qui ont été scolarisés en deux langues ont appris à comparer les champs sémantiques variables des mots, à employer des tournures syntaxiques différentes selon les langues ce qui sont des qualités précieuses dans les situations de traduction.

Un pas vers le plurilinguisme

Il est démontré qu’une éducation linguistique mise en place à partir de pratiques de bilinguisme favorise grandement l’apprentissage ultérieur, au collège et au lycée, d’autres langues. Autrement dit, le bilinguisme de départ a de grandes chances de déboucher sur le plurilinguisme.

2. Bénéfices culturels…ou comment développer des qualités d’ouverture et de tolérance.

Disposer de mots qui découpent le réel différemment, avoir des couples signifiant/signifié qui n’existent pas de la même manière dans les deux langues, cela permet de penser et de découvrir le monde de façon moins unidimensionnelle, plus ouverte et aussi plus tolérante.

Parler la langue de l’autre, c’est déjà accepter l’autre avec ses différences et ses caractéristiques. C’est accepter l’existence d’une autre vision du monde, d’autres systèmes de valeurs. Cela suppose une réelle décentration par rapport à sa propre culture et une meilleure compréhension de celle-ci. C’est un moyen puissant de réduire les malentendus culturels générateurs d’incompréhension et de conflits.

C’est aussi, refuser l’ethnocentrisme et intégrer la notion de relativisme culturel.

La maîtrise des langues étrangères constitue un élément important du capital culturel. En effet, la langue véhicule toujours quand elle est parlée spontanément, et non le fruit d’une traduction, des valeurs culturelles.

La langue sert à marquer l’identité culturelle tout comme d’autres marqueurs culturels tels que l’habillement, le logement ou les institutions sociales. Cependant, des peuples différents, aux cultures différentes, peuvent parler la même langue : c’est le cas des pays de la francophonie. On voit alors le rôle que peut jouer la langue dans le réseau de significations et d’idées que représente la culture. Toutefois, si enseigner la langue permet de faire passer certains traits culturels, enseigner la langue ce n’est pas enseigner la culture.

En effet, même si contrairement à l’enseignement classique des langues, l’enseignement bilingue cherche à dépasser l’objectif purement linguistique exprimé en termes de contenus et montrer qu’un autre enjeu de l’apprentissage des langues se situe sur le plan éducatif. Enseigner une langue c’est donner des clés pour parvenir à comprendre la spécificité d’une identité culturelle et certains modes d’organisation. Quant à craindre une éventuelle dispersion de l’enfant bilingue au sein de ces deux langues et donc une perte d’identité culturelle, il faut tout de suite se rassurer. L’enfant bilingue va tout simplement se construire sa propre identité avec deux langues et quoiqu’il advienne, elle sera toujours singulière. Plus que les langues qu’il va utiliser c’est son vécu et son environnement qui vont déterminer son identité unique.

3. Bénéfices cognitifs…ou comment développer des capacités d’apprentissage.

On a pu observer que les bilingues présentent une meilleure «flexibilité cognitive», des compétences perceptives plus grandes, des qualités d’écoute, d’alerte intellectuelle, d’attention, de vigilance, d’adaptabilité plus performante. De plus, passer d’une langue à l’autre développe une grande «souplesse intellectuelle».

Enfin, il semblerait que les enfants bilingues aient une pensée créatrice plus vive, sollicités de manière plus polymorphe, ces enfants développeraient des réponses plus riches et plus diversifiées. Les avantages d’un enseignement bilingue correctement mené sont importants et pourraient en conséquence attirer des parents soucieux d’offrir «ce qui se fait de mieux» en matière d’enseignement.

Or, l’éducation bilingue se fonde sur un enseignement précoce généralisé d’une langue en plus de la langue maternelle. «Précoce» ici n’est pas lié à la personnalité biologique ou intellectuelle de l’enfant ; cela signifie que l’apprentissage de la seconde langue se fait avant l’âge prévu par l’institution.

Faut il alors inscrire son enfant en classe bilingue le plus tôt possible afin d’en tirer le maximum de profit ? Quel est l’âge idéal pour commencer à apprendre une seconde langue ?

Apprentissage précoce : pourquoi si tôt ?

On peut légitimement se demander si le fait d’apprendre une seconde langue très tôt ne va pas déstabiliser les connaissances du jeune élève. Si, exposé trop tôt à une deuxième langue, l’enfant ne saura jamais ni l’une ni l’autre. A ces arguments Anna Lietti répond vivement qu’ils ne sont pas fondés et qu’au contraire des chercheurs des différents domaines concernés par le bilinguisme précoce ont prouvé son efficacité.

En revanche, il semblerait que la classe de CM2, choisie par les institutions pour l’enseignement d’une seconde langue ne soit pas idéale. En effet, l’enfant se trouve alors en fin de cycle, à la veille d’une rupture curriculaire institutionnelle considérable (entre l’école et le collège) et à un stade biologique (puberté) décisif dans le développement. C’est le difficile cap de l’adolescence, la puissante motivation qui pouvait jusque là aimanter l’enfant vers les langues si les conditions étaient réunies pour les lui rendre attrayantes, succède une période où son goût enfantin pour les manipulations verbales se trouve fortement réduit. La spontanéité est relayée par l’obsession de l’image sociale, la crainte de la faute (lathophobie) considérée comme une source de moquerie « ridiculisante » et donc négative.

Toutefois, la question reste entière : à quel âge convient-il de faire débuter un enseignement bilingue ? Deux ans, trois ans quatre ans ou plus ?

A cette question, les avis restent partagés.

D’après Claude Hagège, c’est en Cours Préparatoire, c’est à dire avant même la première année des quatre années principales d’école primaire que devrait être introduit l’enseignement d’une seconde langue, sous forme orale d’abord, à cette étape. C’est alors que la disponibilité totale du jeune écolier, aux oreilles et au regard d’éclos sur l’univers, doit être exploité comme un trésor aussi précieux que périssable. D’après Jean Duverger la période la plus favorable semble se situer entre quatre et sept ans. Mais quoiqu’il en soit, il faut attendre que le langage maternel soit bien installé (ce qui demande à peu près quatre ans). D’après Dominique Groux, l’enseignement précoce des langues s’adresse à des enfants scolarisés en cycle préélémentaire, c’est à dire des enfants de trois quatre ans. De même, selon Michel Garbédian, il ne faut pas attendre six ans qui est encore une période charnière au plan institutionnel, difficile à gérer pour les enseignants, les parents et les enfants principaux destinataires et acteurs – mais trois quatre ans.

Pourquoi si tôt ?

1. C’est une bonne période au niveau ontogenèse.

Les travaux de neurobiologistes, de spécialistes de la petite enfance, de Psycholinguistiques, de biologistes de la cognition vont tous dans le même sens : « L’enfant est une personne qui a un capital neurobiologique énorme qui va naturellement se réduire ».

Or, cette plasticité, labilité neuronale tend à se stabiliser et à décroître à partir de cinq ans.

Par ailleurs, la capacité à se construire dans plus d’un système linguistique est aussi une aptitude biologique du cerveau humain. Ainsi, pour Christiane Luc de l’INRP et auteur du livre «tout bébé est multilingue », en proposant une seconde langue au plus tôt, l’école peut exploiter le potentiel génétique qui permet au tout jeune enfant de développer sa capacité d’au moins deux langues sans effort excessif, l’enfant traitant ce qu’il peut à la faveur de la relation affectivement favorable.

2. Plasticité auditive et phonatoire

Cette disponibilité auditive que l’enfant développe à l’égard des aspects sonores et phonétiques de la parole est une capacité cérébrale qui va rapidement décroître. L’enfant se spécialise réceptivement dans les sons propres de sa langue maternelle, il perd une capacité à discriminer finement de manière auditive et produire vocalement les sons étrangers à sa langue maternelle. En effet, chaque langue n’utilise qu’une portion très variable des oppositions phoniques que l’appareil articulatoire de l’homme peut produire et que son oreille peut percevoir.

Cela revient à dire qu’il existe des oppositions sonores que l’enfant n’entend pas dans son milieu car la langue qui s’y parle ne les connaît pas. Cette perte de capacité est appelée «stabilisation sélective des synapses ». Quant à la spécialisation de l’appareil auditif, on parle aussi de «filtre auditif ». L’oreille fonctionne comme un filtre à 34 trous, la langue française comprenant environ 34 phonèmes. Les scientifiques considèrent qu’à onze ans, le «seuil fatidique » est atteint car à cet âge, les interférences entre la langue maternelle et la langue enseignée comme seconde deviennent alors impossible à conjurer (sauf exception évidemment !) Bien entendu, ce seuil critique concerne surtout l’apprentissage de la phonétique, il est donc évident qu’à ce niveau plus l’apprentissage débute tôt et plus il est efficace.

3. Les aspects psycho- socio- affectifs

Il s’agit ici de profiter de ce besoin de communiquer, de cette fonction désirante, ce besoin de comprendre et de se faire comprendre, d’apprendre de s’apprendre et de se découvrir propre à tous les enfants.

4. Des aptitudes démultiplicatrices

Ces aptitudes à apprendre d’autres systèmes linguistiques vont être génératrices d’attitude et d’habitudes, celles de comprendre, imiter, mémoriser, se plier à d’autres codes et d’autres normes, qui vont faciliter la flexibilité cognitive, l’ouverture à l’autre, la capacité à se décentrer. Il semble important d’amorcer l’apprentissage de la seconde langue dès le cycle un, à l’école maternelle qui est reconnue comme un lieu d’innovation.

Ainsi, en entreprenant d’exploiter très tôt les ressources enfantines, on se donne les moyens d’un apprentissage bilingue efficace.

Conditions de réussite de l’enseignement bilingue

1. Donner un véritable statut à la seconde langue.

Il est important, pour assurer le succès de l’apprentissage bilingue, d’être conscient du statut que les langues concernées possèdent dans la société et dans les représentations symboliques.

Dans le cas d’un bilinguisme non égalitaire, une des deux langues possède un statut social privilégié, et par conséquent un plus grand prestige. C’est souvent le cas dans un bilinguisme français / patois où le patois est en relation inégale avec le français, parce que dévaluée par les plus âgés qui étant enfant se voyaient sanctionnés lorsqu’ils s’aventuraient à le parler à l’école.

D’après le maréchal Lyautey, «une langue est un patois qui se trouve avoir une armée. »

Heureusement pour les nombreux patois qui existent en France, il semblerait qu’au contraire aujourd’hui on cherche à les réhabiliter. Crainte de voir disparaître un patrimoine culturel, crise identitaire, besoin de revenir aux sources…Tous les drapeaux sont attribués à cette tendance, le fait est qu’il ne peut être que bénéfique pour les enfants qui choisiront ce genre de bilinguisme. En effet, il est bien plus stimulant pour l’enfant d’apprendre une seconde langue qui n’est pas marginalisée par la société ; bien motivés seraient ceux qui y parviendraient ! En fait le bilinguisme réel ne peut se mettre en place qu’à partir de deux langues également (le plus possible) valorisées par l’apprenant.

2. Une langue qui ait du sens pour l’enfant.

Dans un même registre, on peut s’interroger sur le choix de la seconde langue. La question a été posée à Jean Duverger et voilà qu’elle a été sa réponse : « En soi, ça n’a aucune importance. Cela peut être la langue de proximité, la langue régionale si elle existe, la langue d’origine de l’enfant immigré : ce qui importe, c’est que cette langue ait du sens là où ils sont pour l’enfant et sa famille. »

L’Alsace a-t-elle fait le choix de la langue de proximité afin de donner à l’enseignement une réalité concrète. La langue n’est pas simplement considérée comme une discipline scolaire, elle est aussi un moyen de communication.

a) Le rôle des parents.

Il est double :

  • D’une part, ils se doivent de donner une image valorisante à chacune des deux langues. Si possible de même nature.
  • D’autre part, il s’agit si possible d’introduire la langue «non maternelle» à la maison en proposant des livres, des jeux, des cassettes vidéo, des programmes T.V. dans la seconde langue etc. Le tout, est de rendre coutumière la présence de cette seconde langue dans la vie de tous les jours.

Si en plus les parents s’essayaient eux aussi dans cette seconde langue, afin de créer de véritables situations de dialogue avec leur enfant, les progrès s’en feraient tout de suite ressentir et la seconde langue prendrait alors tout son sens.

b) Le rôle de l’école

Une nécessaire concertation et collaboration entre les différents membres de l’équipe enseignante. La classe bilingue ne doit pas être une classe à part au sein de l’établissement scolaire. Elle doit travailler en collaboration avec les autres enseignants et autres membres de l’équipe éducative (prêts de matériel pédagogique, «emprunts » de différents manuels français pour en faire une traduction, car le matériel bilingue fait souvent défaut etc.). L’enseignante bilingue doit continuellement travailler en relation avec l’enseignante francophone. D’une part, pour un meilleur suivit des élèves et d’autre part pour organiser au mieux l’emploi du temps des élèves afin de ne pas les surmener. Enfin, dans le cas d’enfants en difficulté, la décision de réorientation se prendra communément entre les deux enseignantes et le chef d’établissement.

c) Une continuité indispensable.

Un démarrage précoce allonge la durée totale de la période d’apprentissage et a le pouvoir d’influencer le développement personnel de l’enfant alors qu’il est encore au stade où il apprend beaucoup. Cependant, plus l’enfant commence tôt, plus grande est l’importance de la continuité d’une année à l’autre.

Une langue apprise très tôt s’oublie vite si elle n’est pas cultivée (toutefois, le cerveau a pu enregistrer des sons, des sonorités, et l’apprentissage secondaire se fait plus rapidement).

Il est donc indispensable que l’établissement proposant un cycle 1 bilingue puisse assurer le suivit de cet enseignement  au moins pour les deux autres cycles. Si ce n’est pas possible, par manque d’effectifs ou de locaux, elle devra se mettre en relation avec un autre établissement scolaire disposant lui des classes en question, afin d’organiser une orientation, vers ces établissements, des élèves souhaitant poursuivre leur scolarisation en bilingue.

d) Ne surtout pas évacuer la première langue.

L’enfant qui arrive à trois ans à l’école peut ne pas avoir développé encore sa fonction langage grâce à sa langue maternelle. Une exposition trop brutale à la seconde langue avec évacuation de la langue maternelle risquerait en ce cas d’avoir des effets néfastes : arrêt du développement de la fonction langage, blocage vis- à- vis de la langue maternelle et non-démarrage de la seconde langue.

La solution est évidemment d’introduire la seconde langue progressivement, et sans éliminer la langue maternelle.

e) Respecter autant que possible la loi de Grammont-Rongeat.

Rappelons que celle-ci postule que le plus pertinent pour aider l’enfant à se repérer dans les langues est bien la règle : « une personne/ une langue ».

L’enfant se repère d’abord, structure ensuite, en faisant l’économie de nombreuses «interférences ».

f) Respect des rythmes biologiques.

L’enseignement bilingue fonctionne sur le principe d’une alternance entre les deux langues (souvent par demi- journée). Toutefois, il serait souhaitable que ces alternances puissent être réglées en fonction d’une appréciation objective du rythme biologique des enfants ainsi que de celui des changements d’intérêts propres à chaque enfant. Cela, afin d’éviter la fatigue de l’enfant.

g) Des dispositifs pédagogiques attractifs

L’objectif, ambitieux certes ! , est de captiver l’enfant, de lui donner goût à l’apprentissage de la langue. Pour cela, la classe bilingue peut-être multi- âge, ainsi les plus avancés aident les plus jeunes. De même, au sein d’un même établissement ou d’un établissement à l’autre les classes peuvent se jumeler et préparer des projets communs etc.… De même, des coins « oral », des coins « lecture » doivent être prévus dans la classe (ce qui suppose bien entendu un minimum de moyens matériels et financiers). Dans tous les cas, les situations mises en œuvre doivent pousser l’enfant à utiliser la seconde langue comme un outil de communication. En effet, l’enfant ne peut être sérieusement incité à apprendre une seconde langue que si on lui donne occasion de s’investir pleinement dans un échange communicatif qui le sollicite en tant que personne, et non seulement en tant qu’élève.

 

Vous êtes ici : Accueil VIE SCOLAIRE ECOLE ST MARTIN L'Ecole Bilinguisme